25 févr. 2022

Climat et journalisme : Sensibiliser sur les risques individuels et locaux

Climat et journalisme : Sensibiliser sur les risques individuels et locaux

Comment reconnecter la crise climatique avec la situation vécue des citoyens ?



Cette étude de cas fait partie d’un cycle dédié au changement climatique. Pour en savoir plus : lire l’édito.

Pourquoi c’est important

Dans l’espace public, le changement climatique est principalement abordé comme un phénomène macroscopique. On parle de trajectoires de réchauffement calculées à l’échelle planétaire, on relaye les publications d’instances transnationales comme le GIEC, on suit les négociations au sommet entre chefs d’Etat...

Tout cela est tout à fait juste et justifié : la crise est d’une ampleur inédite et revêt une dimension mondiale, voire civilisationnelle. Il serait une faute que le traitement médiatique ne communique pas bien l’ampleur et l’urgence de la situation (on en parlait d’ailleurs ici).

Mais cette approche semble paradoxalement hasardeuse pour la compréhension et l’engagement du grand public : en globalisant le phénomène à l’excès, on risque aussi de le mettre à distance.

En globalisant le phénomène à l’excès, on risque aussi de le mettre à distance.

L’objectif « totem » du +2°C à contenir en 2050 est un bon cas d’étude : c’est à la fois un chiffre simple à retenir pour les médias et l’opinion publique, mais il est également terriblement abstrait. Le chiffre semble intuitivement peu menaçant, d’autant qu’il est calculé depuis l’ère préindustrielle et que c’est une moyenne mondiale qui ne dit pas grand chose des situations locales.

Il semble ainsi indispensable de reconnecter la crise climatique avec la situation vécue des citoyens, qu’ils soient touchés par les conséquences climatiques dès aujourd’hui ou dans les décennies à venir. C’est notamment la responsabilité des médias de réussir à informer et sensibiliser sur ces risques déjà très réels.

On peut le regretter mais il faut être lucides : bon nombre de lecteurs seront plus réceptifs si on leur parle des impacts concrets du changement climatique près de chez eux, que ce soit en terme de dégâts matériels, de biodiversité, ou directement pour leur confort de vie ou leur santé. Cela ne revient pas pour autant à les enfrermer dans un champ de vision rétréci et paternaliste : un angle local peut très bien être une ouverture pour se comparer à d’autres territoires touchés différemment en France ou à l’étranger.

Des angles éditoriaux qui partent des risques locaux et individuels semblent donc nécessaires pour les médias en ligne qui souhaitent prendre à bras le corps la crise climatique. Au-delà des reportages et décryptages classiques, l’innovation éditoriale laisse entrevoir de nombreuses pistes en matière de storytelling, que ce soit avec de la data ou de l’interactivité.

A l’heure où les catastrophes liées au climat se multiplient, les médias peuvent aussi saisir cette triste opportunité pour sensibiliser la population et décrypter les risques. Une étape nécessaire avant la prochaine étape — décrypter sans relâche tous les leviers pour infléchir la situation — que nous explorerons dans un prochain article...

Les pistes

Cartographier les risques locaux

La première partie du travail est d’informer les citoyens sur la réalité du changement climatique autour de chez eux, notamment en se comparant à d’autres territoires. Cet angle d’analyse peut évidemment avoir lieu au niveau national, mais aussi au niveau régional.

Le New York Times propose ainsi une carte des records de température (chaudes et froides) ces dernières années, qui laisse entrevoir des pics très localisés, qui tendent à se répéter d’année en année.

Ou encore cette carte sur les risques en Inde, qui permet d’observer les régions les plus menacées de voir leur niveau de vie diminuer.

En France, on peut citer La Montagne qui a réalisé une carte de France interactive des risques climatiques, en s’appuyant sur des données gouvernementales.

Des angles plus régionaux sont aussi possibles, comme cet article du New York Times qui s’intéresse aux sécheresses en Californie avec de nombreuses données scientifiques.

Au niveau ultra-local, Bloomberg se concentre sur deux grandes villes (Miami et Sacramento) afin d’illustrer l’exposition des infrastructures stratégiques face aux risques d’inondation.

Pouvoir explorer les données près de chez soi

Encore mieux : proposer au lecteur de se localiser pour explorer les données les plus proches de sa situation. La BBC propose par exemple un format pour visualiser les changements climatiques près de chez soi en entrant son code postal.

La Montagne permet également de rechercher sa commune dans un tableau plus simple des risques climatiques.

À l’échelle mondiale, le New York Times a produit une cartographie interactive impressionnante des risques climatiques mondiaux, dans lequel l’internaute peut rentrer son pays et ensuite se comparer aux autres continents.

Dans cette synthèse sur les différents scénarios de réchauffement, le journal espagnol El Pais permet de faire un focus sur la région de son choix et de jouer entre différentes variables simples.

Couvrir les populations les plus à risque

Au-delà d’une analyse géographique des risques, il peut aussi être pertinent de décrypter les nombreux autres facteurs de risque climatique. Toutes les populations ne sont pas exposées de la même façon, et la question sociale n’est jamais bien loin.

C’est par exemple ce que fait le New York Times dans cette enquête data qui explore le lien entre la ségrégation raciale, l’aménagement du territoire et les risques climatiques. Elle démontre que, dans de nombreuses villes américaines, les quartiers à majorité afro-américaine sont aujourd’hui touchés de façon disproportionnée par des risques de canicule insupportable, avec des logements bien souvent peu adaptés.

Parler des risques économiques

Il ne faut pas non plus oublier les risques économiques et financiers, qui peuvent parfois être plus convaincants que des projections scientifiques.

Bloomberg tente de matérialiser le risque financier avec cette enquête qui révèle les énormes trous dans la raquette du système d’assurance inondation pour les propriétaires américains. Le média est ainsi capable d’estimer la perte financière annualisée par propriété.

Le New York Times s’est aussi intéressé au manque à gagner en terme de PIB à l'horizon de la fin du siècle, en s’appuyant sur une étude scientifique.

Montrer des images marquantes

Dans de nombreuses situations, les images sont plus frappantes que les chiffres. C’est le principe qui sous-tend ce format simple à base de photos avant/après sur l’érosion des littoraux français, réalisé par Franceinfo*.

Les médias peuvent aussi essayer de restituer l’ampleur des dégâts suite à des catastrophes naturelles, qui donnent souvent lieu à des images impressionnantes. On peut ainsi citer le travail du Monde autour de la vallée de la Roya, avec ce décryptage vidéo de la catastrophe ou encore ce très beau reportage photo un an après.

Être utile en situation de crise

Les médias peuvent parfois être une ressource vitale pour des populations à risque, par exemple en cas de catastrophe naturelle.

On peut ainsi citer les efforts du New York Times lors de la saison des incendies en Californie. Le journal a déployé un dispositif très complet avec une cartographie en temps réel des brasiers, et des alertes push dédiées mixant reportage et informations pratiques.

Mesurer la crise à l’échelle de sa propre vie

Le média australien ABC a eu la bonne idée de replacer la trajectoire de réchauffement à l’échelle de chaque lecteur. Cela donne un article personnalisable où l’on commence par rentrer sa date de naissance, afin de mieux visualiser l’évolution du climat au cours de notre propre vie.

L’article se termine habilement en nous projetant dans la vie d’un enfant né aujourd’hui, et les différentes trajectoires possibles en fonction de nos efforts climatiques.


Cette étude de cas fait partie d’un cycle dédié au changement climatique.

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*Note : Je travaille actuellement pour la rédaction numérique de Franceinfo.

Maxime Loisel
Maxime Loisel
Fondateur de HyperNews. Consultant indépendant en stratégie et design pour les médias en ligne. Ce blog n’engage que moi.
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