6 avr. 2022

Climat et journalisme : Tenir responsables les décideurs

Climat et journalisme : Tenir responsables les décideurs

Comment traiter la responsabilité des décideurs politiques et économiques ?



Cette étude de cas fait partie d’un cycle dédié au changement climatique. Pour en savoir plus : lire l’édito.

Pourquoi c’est important

La crise climatique appelle des solutions structurelles, de véritables choix de société, que les médias se doivent de décrypter. Mais ce travail de fond et de prospective ne doit pas faire oublier la responsabilité présente des décideurs.

On le sait, la transition écologique est souvent ralentie ou bloquée par un mode de gouvernance principalement orienté vers le court-terme. On peine à corriger des externalités aussi immenses que celles provoquées par les énergies fossiles et le dérèglement climatique.

Le champ politique et le champ médiatique ont d’ailleurs pour point commun un certain tropisme pour la nouveauté, les rebondissements ou encore les shiny objects. La crise climatique ne coche pas vraiment ces cases — hormis ponctuellement lors de catastrophes — et se retrouve bien souvent sacrifiée sur l’autel de la dernière polémique éphémère. L’écologie est par ailleurs un objet qui fait peu recette, que ce soit dans les urnes ou en terme d’audiences. Tout le monde y est plutôt favorable en principe, mais c’est une autre paire de manche pour mener cette transformation et créer du consensus.

Les médias ont donc un rôle majeur à jouer en matière d’accountability : mettre à l’agenda ces sujets et forcer les décideurs à rendre des comptes. Qu’ils soient peu ambitieux, immobiles, ou carrément acteurs du désastre climatique, il est temps de les confronter à leur faillite décisionnelle et morale.

Il ne faut pas oublier non plus les entreprises et les décideurs économiques, qui sont des acteurs incontournables de la lutte contre le réchauffement climatique. Eux aussi occultent dans les grandes largeurs leur responsabilité envers la société et les nouvelles générations.

On pourrait aussi ajouter une dernière catégorie d’adversaires du climat, cumulable avec les deux premières : ce sont les adeptes du greenwashing, cette écologie de façade qui s’étale dans les publicités et sur LinkedIn.

Alors, ça donne quoi quand on confronte l’urgence aux actes ? Voici quelques pistes éditoriales, souvent innovantes sur la forme, piochées chez les médias en ligne.

Les pistes

Rappeler le contexte d’inaction climatique

Bloomberg met les pieds dans le plat avec cet article qui retrace 30 années d’inaction mondiale, chiffres et chronologie à l’appui. La courbe des émissions occupe la moitié de l’écran et grimpe au fur et à mesure de la lecture. Idée maline : une courbe matérialise la trajectoire manquée qui aurait pu être prise à chaque étape. L’analyse se termine toutefois sur une note positive en évoquant les trajectoires possibles de rattrapage (« It’s not too late »).

Même idée chez The Guardian, renforcée par un design dramatique en noir et blanc.

Suivre l’action des gouvernements

Le Washington Post suit les actions environnementales de l’administration Biden, avec cette page « tracker » mise à jour régulièrement.

Le média écolo Grist fait de même en se concentrant sur le détricotage des mesures anti-environnementales de Trump, avec un traitement plus visuel pour montrer l’avancement concret de la doctrine Biden.

De façon plus spécifique, le New York Times fait le point sur les mesures climatiques comprises dans le grand plan de relance de Joe Biden, avec ce décryptage visuel qui permet de saisir les grandes échelles.

De son côté, Le Monde a recensé les réponses du gouvernement français aux différentes propositions de la convention citoyenne pour le climat.

Suivre les trajectoires climatiques des Etats

Le New York Times a produit cette animation pour vulgariser notre trajectoire climatique et la comparer aux engagements des accords de Paris, eux-mêmes considérés comme insuffisants.

Le Washington Post est allé plus loin à l’occasion de la COP26 en analysant les trajectoires respectives de tous les Etats. Le décalage entre les paroles et les actes est frappant, grâce à des petits graphiques bien conçus.

Le Washington Post a également mené une enquête impressionnante qui révèle que de nombreux Etats sous-évaluent leurs émissions de gaz à effet de serre dans leurs déclarations officielles. Cette investigation technique, truffée de chiffres, est vulgarisée à l’aide de graphiques et d’une petite infobulle qui traduit les volumes d’émission en équivalent-voiture.

En réaction au blocage législatif du plan de relance Biden, le New York Times rappelle tout simplement (« en un graphique ») que cette loi semble pourtant indispensable pour atteindre les objectifs d’émissions du gouvernement américain pour 2030.

Enquêter sur les mauvais acteurs

Bloomberg Green est sans doute le plus en pointe. Le média multiplie les enquêtes chocs, comme celle-ci sur les industriels chinois qui polluent plus que certains Etats. Le site utilise des graphiques à aire proportionnelle pour permettre les comparaisons. Ceux-ci sont même animés avec des petites particules qui bougent — un choix cosmétique qui facilite aussi la compréhension.

Dans la même veine, Bloomberg décrypte le rôle de Turkmenistan, un des pires émetteurs de méthane au monde. L’article s’ouvre avec une vidéo marquante du cratère surnommé « Gates of Hell », qui brûle du gaz depuis 40 ans suite à un accident.

On peut aussi citer ce décryptage pointu sur les banques qui continuent d’investir le plus dans des actifs anti-écologiques, chiffres à l’appui.

Le New York Times a enquêté en longueur sur les liens opaques du député américain Joe Manchin avec l’industrie du charbon, alors même que son vote déterminant a permis de bloquer le plan climat de Joe Biden.  

The Guardian pratique aussi ce que les anglo-saxons appellent le « name and shame » avec des séries éditoriales récurrentes comme The Polluters en 2019 ou Climate Crimes cette année, qui pointent toutes les deux le rôle de l’industrie pétrolière. On peut citer notamment cet article qui chiffre l’impact des 20 firmes les plus polluantes, avec un certain sens du storytelling.

De façon plus originale, Bloomberg expérimente aussi différents genres journalistiques et s’essaye par exemple au podcast façon « true crime » pour intéresser les citoyens aux thématiques environnementales. Sa série « Blood River » raconte ainsi l’affaire du meurtre d’une activiste environnementale au Honduras.

Dénoncer le greenwashing

C’est le créneau éditorial assumé de la newsletter française Climax, qui dégaine chaque semaine « l’extincteur à bullshit » sur « les greenwashings en tout genre ». Et c’est toujours malheureusement très drôle.

Le média Vert est également très bon pour démasquer les discours écolos en carton, avec humour.

Voir cette publication sur Instagram

Une publication partagée par Vert | Média sur l'écologie🌱 (@vert_le_media)

En faire un sujet lors des élections

Le média allemand Der Taggespiegel a par exemple mené une analyse data des programmes politiques lors des dernières élections nationales, afin de mettre en lumière le traitement des sujets climatiques.

Dans la récente campagne présidentielle française, le site de Franceinfo* a également analysé les programmes climatiques des candidats en collaboration avec l’association Les Shifters. On y apprend qu’aucun candidat ne semble parfaitement dans les clous des accords de Paris.

*Note : Je travaille actuellement pour franceinfo.fr et j’ai participé à ce projet.


Cette étude de cas fait partie d’un cycle dédié au changement climatique.

Pour ne pas manquer les prochaines publications, inscrivez-vous à la newsletter HyperNews.

Maxime Loisel
Maxime Loisel
Fondateur de HyperNews. Consultant indépendant en stratégie et design pour les médias en ligne. Ce blog n’engage que moi.
Sommaire
Vous vous êtes inscrit avec succès.
Bienvenue à nouveau ! Vous vous êtes connecté avec succès.
Vous vous êtes abonné avec succès à HyperNews.
Votre lien a expiré.
Bienvenue ! Vérifiez votre e-mail pour le lien magique pour vous connecter.
Vos informations de facturation ont été mises à jour.
Votre facturation n'a pas été mise à jour.