18 janv. 2022

Quelle stratégie et quels formats innovants pour couvrir le changement climatique ?

Quelle stratégie et quels formats innovants pour couvrir le changement climatique ?

Les médias peinent encore à adapter leur couverture éditoriale à l’ampleur de l’urgence climatique. Pour éclairer cet enjeu majeur, HyperNews lance un cycle d’articles qui se penchera sur les pistes stratégiques et les formats éditoriaux prometteurs, repérés chez les médias en ligne à travers le monde.


Difficile de dire que l’urgence climatique est ignorée par la plupart des médias. Le sujet surgit régulièrement dans l’actualité sous différents angles : catastrophes climatiques, rapports du GIEC, débats sur les transports ou la fiscalité écologique...

Pourtant, les médias mainstream peineraient à adapter leur couverture à l’ampleur inédite de l’enjeu. Une critique jusque-là marginale qui commence à faire son bout de chemin dans la profession. Quelle place pour cette thématique dans la couverture médiatique globale ? Quels angles et quels formats privilégier ? Comment éveiller les consciences du public, éclairer sur les solutions possibles, et s’assurer que les institutions politiques et économiques rendent des comptent à la société ? Bref, comment informer correctement à l’aube d’un phénomène aussi transverse et systémique ?

Autant de questions lourdes qui émergent depuis quelques années. Certains médias s’engagent de plus en plus, à l’instar du journal britannique The Guardian qui, nous le verrons, fût un des premiers à prendre des engagements très forts. Mais les cénacles journalistiques s’emparent aussi de la question climatique. La revue académique américaine Columbia Journalism Review a couvert massivement le sujet en 2020, avec son cycle « Covering Climate Now ». Certaines figures de la profession s’y consacrent aussi pleinement, comme Wolfgang Blau, ex-numéro 2 du groupe de presse magazine Condé Nast qui mène désormais des recherches sur le sujet à Oxford (et publie de nombreuses analyses passionnantes sur son compte Twitter). En France, les Assises du Journalisme ont consacré une bonne partie de leur dernière édition à cette thématique.

Plus récemment, la question a également trouvé son climax à la faveur du succès mondial du film « Don’t Look Up », une satire très réaliste qui examine les responsabilités politique et médiatique face à une catastrophe qui menace la survie humaine.

Biais cognitifs et médiatiques

Il faut dire que le changement climatique cumule les défauts : complexe, diffus, peu visible à l’oeil nu, voire même parfois contre-intuitif... De nombreux auteurs se sont penchés sur les biais cognitifs du cerveau humain face à cette question. Nous avons dû mal à appréhender un phénomène paradoxalement si énorme et si diffus. Et cela se répercute inévitablement dans les pratiques médiatiques.

La question climatique se heurte en effet aux limites de notre écosystème médiatique, qui privilégie bien souvent la nouveauté à la compréhension, comme nous l’expliquait récemment l’universitaire américain Jay Rosen. Le réchauffement climatique se déroule sur une échelle temporelle longue, qui s’accommode bien mal avec un cycle médiatique toujours plus effréné. La planète change à un rythme à la fois incroyablement rapide à l’échelle de l’humanité... et beaucoup trop lent pour nos petits cerveaux de poisson rouge.

Le changement climatique cumule les défauts : complexe, diffus, peu visible à l’oeil nu, voire même parfois contre-intuitif...

Le phénomène draine aussi son lot de complexité, de vocabulaire scientifique ou de faits parfois contre-intuitifs (pourquoi connaît-on des vagues de froid historiques si le monde se réchauffe ?). Il est aussi terriblement impersonnel : il n’y a pas un PDG de la Terre à qui demander des comptes, pas plus qu’il n’y a de tête qui dépasse parmi les scientifiques du GIEC. Des scientifiques qui sont bien souvent boudés par les médias mainstream, comme le souligne la satire « Don’t Look Up ». Pas étonnant, alors, que les médias se ruent sur une figure télégénique comme Greta Thunberg.

Les injonctions médiatiques sont, il faut le dire, contradictoires : on rejette la mollesse des scientifiques, mais on saute sur les phrases chocs parfois simplistes, pour ensuite s’alarmer des discours trop anxiogènes qui pourraient faire fuir les lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs.

Les médias sont pourtant habitués à couvrir certains phénomènes relativement abstraits et impersonnels, comme l’économie. Comme le souligne l’activiste Bill McKibben dans ce très bon article, la grande différence est que les médias ont réussi à dompter ce concept en injectant de la dramaturgie : on passe d’une crise économique à un cycle de rebond, puis à une nouvelle crise, et ainsi de suite... Le tout rythmé par les rituels chiffrés de la croissance, du chômage, de l’inflation, etc...

La réalité du changement climatique est beaucoup plus monocorde et ennuyeuse. Résultat : on parle souvent du climat en réaction à des catastrophes (inondations, incendies, ouragans...) ou de la météo, qui rentrent bien mieux dans la définition traditionnelle de ce qui constitue « l’actualité ».

Catastrophisme versus bons sentiments ?

Faut-il alors marteler l’urgence de la situation sur tous les tons, sur un mode catastrophiste ? Comme l’évoquait récemment la journaliste Salomé Saqué sur un plateau : « Pourquoi ne parle-t-on pas tous les jours au JT de cette inaction climatique ? ». On m’opposera sans doute qu’une approche trop anxiogène est vouée à l’échec, car elle décourage les esprits. Une réponse en vogue dans les médias consiste plutôt à s’intéresser davantage aux solutions susceptibles de redonner espoir. Il y a même un terme pour ça : le « journalisme de solutions ».

De ce côté, de nombreux médias ont fait des efforts. Si s’attaquer aux solutions est assurément utile pour dézoomer des problèmes — et n’est pas nécessairement un journalisme bisounours — ce type de couverture peut en revanche prendre l’allure d’un saupoudrage destiné à se donner bonne conscience. Le journalisme de solutions s’intéresse souvent aux éco-gestes ou aux petites initiatives de terrain (l’agriculteur qui organise son circuit court, ou l’étudiant qui crée une appli écolo) plutôt qu’aux grands leviers politiques, plus techniques et clivants.

Alors comment s’y prendre ? La question est bien sûr complexe et doit mobiliser l’intelligence collective des rédactions. Je ne prétendrai pas y apporter une réponse définitive ou parfaite. Elle mérite en tout cas des moyens plus importants et un savant mélange de savoirs-faire. Il s’agit en effet d’informer les citoyens en faisant appel à leur raison, en vulgarisant l’état des connaissances scientifiques, en rappelant les trajectoires historiques... Mais les médias doivent aussi frapper les esprits, utiliser leur force de frappe pour mobiliser des émotions, savoir parfois repenser leur hiérarchie de l’information pour communiquer l’échelle inédite du phénomène.

Il s’agit d’informer les citoyens en faisant appel à leur raison... mais aussi en frappant les esprits.

Différentes pistes se détachent afin d’éviter les écueils journalistiques habituels. On peut citer les six thèmes qui sont ressortis des « Climate Journalism Awards » organisés par la Columbia Journalism Review, et qui semblent particulièrement pertinents et complémentaires :

  • Rattacher fermement les actualités climatiques aux savoirs scientifiques (en évitant tout « framing » partisan)
  • Reconnaître que la science annonce une urgence climatique, tout en évitant que l’audience ne décroche
  • Humaniser le phénomène pour le rendre moins abstrait
  • Localiser le phénomène sans oublier les implications mondiales
  • Trouver des angles inattendus pour montrer l’étendue de la crise
  • Montrer les problèmes et les solutions, autrement dit « the whole story »

Cet effort de conviction et de persuasion nécessite aussi une réflexion inévitable sur la confiance entre citoyens et médias, que je documente régulièrement sur HyperNews. La défiance envers les institutions médiatiques et scientifiques est évidemment un énorme frein qui nécessite des actions spécifiques.

Il faut aussi s’interroger — et c’est un point structurant de plus en plus souligné par les spécialistes — sur l’organisation même des rédactions pour couvrir le changement climatique. Un consensus se dégage sur la nécessité de décloisonner cette thématique, qui démontre tous les jours sa transversalité. Avoir un service dédié à l’environnement n’est plus suffisant : l’organisation par rubriques crée des frontières artificielles et des effets bien connus de travail “en silo”. Tout journaliste en 2022 devrait avoir les compétences de base d’un “climate reporter”, comme le dit l’américain Andrew Friedman. Encore faut-il en avoir les moyens, mais c’est un autre débat dont d’autres parleront mieux que moi.

Le besoin de créativité éditoriale

Pour revenir au coeur de notre sujet, la profession aura besoin d’une bonne vision stratégique et d’une grande créativité éditoriale.

C’est précisément pour cette raison qu’HyperNews lance, à partir de cette semaine, un cycle consacré à l’innovation éditoriale sur le changement climatique. Comme d’habitude, je mettrai en lumière une sélection de pistes et projets recensés chez les médias en ligne du monde entier, à mi-chemin entre stratégie éditoriale et design. Nous y verrons que le journalisme visuel est une ressource particulièrement stimulante pour marquer les esprits, même s’il ne se substitue pas à un effort d’enquête et de décryptage plus classique sur le long cours.

Il sera donc question de formats éditoriaux innovants, de visualisation de données... mais aussi de pistes stratégiques pour les entreprises de médias qui souhaitent s’engager au-delà de leur couverture éditoriale, à travers leurs propres pratiques.

Précision importante, qui en agacera peut-être certains : bon nombre d’exemples cités dans ces prochains articles seront issus de grandes rédactions anglo-saxonnes, qui ont beaucoup investi sur ce créneau éditorial ces dernières années. On y retrouvera notamment les usual suspects que vous connaissez bien si vous suivez HyperNews : le New York Times, le Washington Post ou le Guardian. Bien que leurs ressources soient évidemment peu comparables à celles de petites rédactions, j’espère que leurs bonnes idées pourront aussi essaimer et inspirer plus largement. Certains liens que je citerai sont très complexes par leur ambition ou par les compétences requises (data visualisation, modélisation 3D, motion design...) mais la plupart sont aussi adaptables sous une forme beaucoup plus simple. Que chacun fasse avec ses moyens !


La première étude de cas de ce cycle est à lire dès maintenant sur HyperNews. Elle s’intéresse à la visualisation du changement climatique à l’échelle mondiale : comment rappeler la base et communiquer les effets indéniables et coordonnés du changement climatique ? Il sera question de mêler données scientifiques et éléments tangibles, comme ce sera souvent le cas dans cette série.


Vous pourrez retrouver ce cycle sur le changement climatique au cours des prochaines semaines sur HyperNews.

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Maxime Loisel
Maxime Loisel
Fondateur de HyperNews. Consultant indépendant en stratégie et design pour les médias en ligne. Ce blog n’engage que moi.
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