Les médias peuvent nous éclairer davantage sur les solutions structurelles susceptibles d’enrayer la crise climatique.
Cette étude de cas fait partie d’un cycle dédié au changement climatique. Pour en savoir plus : lire l’édito.
Pourquoi c’est important
Au-delà du constat — la planète est en danger —, la mission d’information des médias consiste aussi à nous éclairer sur les solutions, les leviers d’action susceptibles d’améliorer la situation.
On le sait, l’approche catastrophiste souvent employée par les médias n’est pas suffisante pour informer pleinement les citoyens sur le changement climatique. Si elle est légitime pour sensibiliser les esprits (souvent de façon réactive suite à des chiffres alarmants ou des catastrophes naturelles), elle mène aussi à une forme de lassitude et d’anxiété dont on connaît les effets démobilisateurs. Les spécialistes le voient bien depuis des années : crier sur tous les tons que l’on va droit dans le mur ne suffit pas.
Parlons donc des solutions. De nombreux journalistes se sont attaqués à cette question hautement complexe. Pourtant, la couverture quotidienne de nombreux médias tombent souvent dans deux pièges, qui renvoient d’ailleurs à différents débats qui traversent également les mouvements écologistes.
On observe d’abord la persistance d’un ton moralisateur, qui tend à se focaliser sur les pratiques individuelles (de déplacement, de consommation...). On met ainsi l’accent sur le choix personnel de l’automobiliste pollueur, sans trop creuser des décennies de choix politiques en matière d’aménagement du territoire, de choix industriels ou économiques... Il faut dire que ces sujets sont techniques, systémiques, et donc effrayants quand on cherche à retenir le faible temps d’attention disponible du grand public. Difficile aussi de les creuser pour des journalistes qui manquent de temps et de moyens.
Cette vision de l’écologie conduit aussi les médias à un certain tropisme pour l’écologie des « petits gestes », ces solutions « du quotidien » portées par des individus modèles. Un véritable genre journalistique s’est développé sur ce créneau « positif », perçu comme une antidote à l’écologie anxiogène. Facile à produire, il s’apparente toutefois à une version dévoyée du « journalisme de solutions » prôné par certains journalistes, qui se défendent d’incarner un journalisme « bisounours ».
Sensibiliser aux éco-gestes n’est pas en soi un problème. Mais en se limitant à vouloir former de bons citoyens éco-responsables, les médias risquent de passer à côté du véritable sujet. Car tous les scientifiques le disent : la crise climatique implique de faire de véritables choix de société, de s’attaquer à des problèmes structurels. Avec des débats politiques et économiques compliqués à la clé. On reste très loin du compte si on attend de chaque citoyen qu’il « fasse sa part ».
A l’instar du mouvement « colibri », aujourd’hui critiqué par certains militants écologistes, il semble dangereux d’occulter la nécessité urgente de choix politiques forts, qui sont d’ailleurs loin de faire l’unanimité. D’où la nécessité d’une délibération collective, dans laquelle les médias ont toute leur part à jouer.
Face aux rapports du GIEC ou aux catastrophes climatiques, la sténographie ne suffit donc plus. Nous avons notamment besoin de décryptages puissants pour y voir plus clair, tant sur les responsabilités du désastre que sur les leviers d’action collectifs. Pour les médias en ligne, la vulgarisation et le storytelling visuel sont notamment précieux, comme nous le verrons dans les exemples cités ci-dessous.
Pour y arriver, les journalistes semblent plus que jamais devoir s’appuyer sur des expertises externes (économistes, scientifiques, ingénieurs...). Il s’agit d’expliquer et de comparer des politiques publiques, d’enquêter sur des secteurs économiques, des solutions technologiques, mais aussi de modéliser tous les effets attendus... Bref, il y a du pain sur la planche.
Les pistes
Démêler les responsabilités du changement climatique
Les dynamiques du changement climatique sont complexes et multiples ; les décrypter le plus clairement possible est un point de départ indispensable pour se faire une idée claire sur la question.
Le New York Times détaille dans cet article les responsabilités historiques respectives des différents pays, avec un graphique en « treemap » très éclairant pour comparer.
Sur la question de « qui émet quoi » aujourd’hui, le Financial Times répond avec un graphique qui matérialise l’écart flagrant entre les plus riches et les plus pauvres — un clivage plus pertinent que les habituels comparatifs internationaux, selon le journal.
On peut également prendre le sujet par l’angle des secteurs d’activité. C’est ce que fait The Guardian en comparant, à l’aide d’un simple tableau, les secteurs économiques les plus en retard sur les engagements climatiques de l’accord de Paris, à l’échelle du globe.
Pléthores d’angles plus précis sont possible : le New York Times détaille ici par exemple les émissions de gaz à effet de serre liées au transport routier, qui restaient en augmentation aux Etats-Unis. L'article remet ces émissions en perspective (le transport est l’un des premiers postes d’émissions, et le transport routier en est le principal responsable) et permet d’explorer les données locales sur une carte.
Documenter les alternatives
Le New York Times s’est intéressé à ces villes qui envisagent de réduire la place des grandes artères autoroutières, partout à travers les Etats-Unis. Un grand format très complet, qui concilie la « big picture » avec du photo-reportage sur le terrain.
Sous un angle plus « data », le New York Times a aussi exploré l’avenir de la flotte automobile, et la lente progression des véhicules électriques. Avec là aussi une introduction visuelle destinée à accrocher notre attention.
Bloomberg décrypte aussi toute une série de leviers que les villes peuvent activer pour être plus résilientes face au changement climatique. Avec notamment des images marquantes comme les digues anti-inondation de Venise en action.
On peut aussi citer le média Vert qui vulgarise le plan de reconversion énergétique très fouillé de l'association Negawatt sur Instagram.
Décrypter les zones grises de la transition écologique
Les solutions au changement climatique — qu'elles soient énergétiques, technologiques, économiques — font bien souvent l’objet de controverses (plus ou moins justifiées). Il est toujours bon de faire le point avec nuance sur ces choix politiques complexes.
The Guardian propose par exemple un décryptage vidéo sur les voitures électriques : à quel point sont-elles une solution « verte » ? Réponse : « It’s complicated ».
De son côté, Bloomberg nous plonge dans les dessous peu reluisants de l’industrie de l’acier, très polluante... mais incontournable dans la fabrication des panneaux solaires ou des éoliennes. On y trouve notamment une infographie qui calcule la quantité d’acier avec le « Golden Gate Bridge » comme unité de mesure.
Même chose dans l’industrie du bois aux Etats-Unis : le boom des granulés de bois pour se chauffer est très contesté, nous raconte le New York Times, dans ce grand photo-reportage.
Montrer la complexité des solutions politiques
Le New York Times a eu la bonne idée de calculer un scénario alternatif dans lequel les Etats-Unis appliqueraient 7 mesures majeures inspirées d’autres pays pour réduire leurs émissions. Résultat : ces efforts ne permettraient d’atteindre... que la moitié des engagements américains pour 2050.
Sous un angle plus « gamifié », le Los Angeles Times ambitionne de nous faire comprendre la complexité de l’équation politique au niveau local. Le journal a créé un mini-jeu assez efficace qui nous plonge dans une municipalité confrontée à la montée des eaux sur le littoral. Bon courage pour jongler entre les intérêts divergents de tous les protagonistes !
Cette étude de cas fait partie d’un cycle dédié au changement climatique.
- L’édito
- Etude de cas #1 : Faire comprendre l'ampleur du changement climatique au niveau mondial
- Etude de cas #2 : Rendre tangibles des phénomènes climatiques invisibles à l’œil nu
- Etude de cas #3 : Vulgariser le changement climatique
- Etude de cas #4 : Sensibiliser sur les risques individuels et locaux
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