Raconter sa mission éditoriale
Pourquoi c’est important
Peu de médias d’information prennent la peine de se présenter sur leur site, ou même de marketer réellement leurs valeurs éditoriales. Faites l’essai et cherchez les pages « À propos » sur la plupart des sites : vous ne trouverez souvent rien, ou tout au plus un simple « Ours » protocolaire.
- Certes, la plupart des marques qui ont pignon sur rue sont déjà bien connues des lecteurs. Mais à l’heure où de nombreux sites d’info pivotent vers un modèle d’abonnement numérique, l’histoire et les valeurs d’un média historique peuvent pourtant devenir des arguments marketing importants.
- Marketer sa différence éditoriale peut aussi être intéressant face aux nouvelles générations de lecteurs ou tout simplement face aux lecteurs « passifs » qui papillonnent entre les différents médias sans véritable attache.
C’est d’autant plus vrai que la révolution numérique conduit à un gigantesque nivellement éditorial.
- Tout se mélange désormais sur le Web, du tweet conspirationniste jusqu’au site d’info clickbait et aux site d’info sérieux.
- Les études le prouvent : bon nombre d’internautes ne savent plus identifier les sources de ce qu’ils lisent. D’où la nécessité pour les médias d’ancrer leur raison d’être et leur différence auprès des lecteurs.
- Les lecteurs les plus curieux et fidèles peuvent aussi être sensibles à un discours plus engagé de la part de leurs médias préférés.
En guise d’inspiration, il faut plutôt regarder du côté des jeunes médias outsiders, surtout quand ils sont fondés sur un modèle payant. On fait plus attention à la façon dont on se raconte quand on doit vendre des abonnements et se faire une place sur un marché concurrentiel. Un effort réflexif qui ne ferait pas de mal à des marques média plus connues, dont on peine parfois à discerner la raison d’être en 2020…
Les pistes
Une baseline pour afficher ses valeurs
BuzzFeed News incarne sa mission éditoriale avec la baseline accrocheuse « Reporting to you »— sans doute un enjeu de légitimité pour démarquer son site « sérieux » de son site principal plus connu pour ses lol-cats.
Le Washington Post s’est également doté d’une baseline en 2017. Un ajout qui a beaucoup fait parler, mais qui peut aussi s’avérer à double-tranchant quand on ne s’avère pas à la hauteur des promesses…
Le Figaro a aussi profité de sa dernière refonte web pour reprendre le slogan historique de son édition papier (une citation de Beaumarchais).
Se raconter avec des pages « A propos »
BuzzFeed News opte pour une page simple et sans fioritures, axée sur les enquêtes et les récompenses du média. Le mot-compte-triple qui fait mouche : « Impact ».
Contexte dispose d’une section « À propos » complète et claire, avec un effort de transparence sur le modèle économique et le financement du média.
Le New York Times a imaginé une belle page qui ne manque pas d’emphase — à l’américaine — pour valoriser sa mission éditoriale. Elle met bien en scène la richesse éditoriale et le vaste réseau de correspondant du NYT. Dommage qu’elle reste assez sous-exploitée et cachée dans le parcours d’abonnement.
The Economist avait fait un très bon travail avec cette zone « À propos » qui n’est malheureusement plus en ligne… On y retrouvait une section historique mais aussi des données transparentes sur le staff et la diversité au sein de l’entreprise. Par ailleurs, la section « FAQ » n’hésitait pas à poser des questions qui fâchent (« The Economist est-il de droite ? »)
Prévoir des blocs visibles
BuzzFeed News a positionné sa page « À propos » en première position dans son header. Il est donc accessible facilement depuis n’importe quelle page du site. Un choix inhabituel mais ici légitime pour pallier l’identité floue de ce média.
Les Jours se présente très bien avec une grande zone visible sur la page d’accueil (uniquement pour les non-abonnés). Elle redirige vers plusieurs pages dédiées. Tous les mots-clés sont là : « indépendant », « sans pub », « l’actualité en séries ». Et chose rare pour un média national français : l’équipe est visible — ça fait du bien un peu d’incarnation et d’humanité !
Chez le site californien CalMatters, la promesse éditoriale est résumée en une phrase, très visible sur la page d’accueil.
Pour les sites payants : l’art de la landing page
Les sites qui possèdent un hard paywall (c’est-à-dire où il faut payer pour accéder au moindre contenu) ont encore plus intérêt à affirmer leur identité éditoriale. Ils doivent se vendrent auprès des lecteurs et leur landing page sert de vitrine.
Chez The Correspondent, on trouve des slogans travaillés, des engagements concrets, et une vidéo introductive très léchée.
Le site d’info danois Zetland (ci-dessous dans une version traduite en français) dégage aussi une très bonne impression avec des slogans forts et une incarnation habile de son équipe — à en faire pâlir les meilleures start-ups.
Le site britannique Tortoise est aussi très bon pour marketer sa promesse éditoriale. En résumé : « slow news »et proximité avec les lecteurs. Il tire notamment profit de ses nombreux événements en public, dont les jolies photos arborent la page d’accueil. Ici, le focus est fait sur la communauté de lecteurs (la terminologie du « membership » est d’ailleurs utilisée).
Faire endosser une « mission » à chaque journaliste
La radio californienne KPCC est très pro-active en matière de community-driven journalism (un journalisme qui se veut plus proche des lecteurs). La rédaction a publié notamment un Mission Statement qui frappe par son authenticité et s’adresse aux lecteurs. Mais cela va plus loin : chaque journaliste a également formulé son propre « statement » personnel en lien avec sa rubrique. On pourrait résumer ça ainsi : « chers lecteurs, voici les sujets qui m’intéressent et voici en quoi je compte vous être utile ».
Mettre en avant son « impact »
Le site d’investigation francilien Streetpress a récemment dressé la liste de ses enquêtes et scoops.
Le média américain ProPublica dresse aussi son bilan et n’hésite pas écrire le mot « Impact » en très grosses lettres sur cette page. Il publie également un rapport annuel sur le sujet.
Le journal local Detroit Free Press a créé une rubrique « Impact », visible dans son header, et publie un rapport d’impact annuel. Une section « Impact » est aussi habilement valorisée dans le parcours d’abonnement… (Seule une version allégée du site est disponible depuis la France)
Pour aller plus loin : Les stratégies de marketing et de communication externe sont également un levier important où il faut savoir marketer sa mission éditoriale. Ce sera l’objet d’un futur article…