Le groupe Condé Nast a annoncé cette semaine la fusion du site musical Pitchfork avec le magazine masculin GQ. Un arrêt de mort qui ne dit pas son nom pour le pionnier de la critique musicale en ligne, devenu culte chez les millenials amateurs de musique indé dans les années 2000/2010.
On y lisait des critiques musicales passionnées, parfois virulentes, incarnées par une notation sur 10 particulièrement subjective. Pitchfork était si scruté par les fans de musique qu’il avait le pouvoir de créer des stars ou de descendre en flèche des artistes. Il était un objet de vénération autant que de détestation contre les « hipsters ».
Pourtant, la hype de Pitchfork n'a pas survécu à l’arrivée des plateformes, comme le raconte le journaliste Casey Newton dans ce billet. La faute à une double révolution de l’écosystème numérique.
Double révolution
Comme de nombreux médias, Pitchfork était accessible gratuitement en ligne et financé par la publicité. L’accaparement progressif du marché publicitaire numérique par Facebook, Google & co n’a fait qu’assécher ses revenus.
Mais surtout, c’est l’arrivée de Spotify, Apple Music ou encore Deezer qui a profondément remis en question la raison d’être d’un média de prescription culturelle comme Pitchfork. Des plateformes à la puissance algorithmique telle qu’elles sont capables de décrypter vos goûts et vous proposer des recommandations taillées sur mesure.
Derrière Pitchfork, c’est toute la presse musicale qui a subi de plein fouet ce changement d'usages. En France, on pense à la disparition récente du magazine TRAX, ou à la trajectoire des Inrocks, qui n’est plus que l’ombre de lui-même.
Il faudrait sans doute aussi analyser les changements dans les goûts musicaux, plus éclectiques, plus difficiles à enfermer dans des communautés claires, depuis l’arrivée du numérique. Il devient même difficile de catégoriser ce qui relève de la culture mainstream, puisque chaque micro-niche peut désormais toucher une audience décuplée.
Monétiser la prescription « humaine » ?
À première vue, le déclin de la presse musicale ne va pas s’améliorer à mesure que les magazines papier disparaissent et que l’environnement numérique reste si difficile à dompter. Sans compter sur les algorithmes de recommandation qui s’améliorent de jour en jour.
Mais le diktat des algorithmes sera-t-il total dans les générations à venir ? En matière de culture, tout est question de cycles. Du côté de la demande, on peut déjà imaginer une forme de contre-culture émerger, dans les marges, face à une certaine aseptisation de la découverte musicale.
La réflexion est également valable pour d’autres champs culturels comme la critique ciné/séries, même si l’éparpillement de l’offre vidéo numérique offre pour le moment un relatif répit pour les médias de prescription.
Une chose est à peu près sûre : on ne reviendra probablement jamais à l’âge d’or des grands magazines culturels. Mais la prescription pourrait bien se réinventer sous d’autres formes plus modestes et incarnées.
Reste désormais à savoir quels canaux pourraient s’imposer et comment monétiser tout cela. Pourra-t-on rémunérer dignement des influenceurs culturels sur TikTok ? Peut-on rêver d’une nouvelle plateforme dédiée à la critique culturelle, à mi-chemin entre SensCritique, Soundcloud, et Twitch ? Ou un retour aux fanzines papier refourgués sous le manteau ? L’avenir le dira !
Qu’avez-vous pensé de cet article ? Dites-moi en plus par mail ou sur Twitter / Threads / LinkedIn.
Par ailleurs, je prends toujours des missions de conseil en stratégie / design / innovation éditoriale en 2024. Si vous avez besoin d’aide dans le développement de vos contenus et produits numériques, contactez-moi (plus d’informations ici) 👋
