C’est la vidéo qui va faire parler dans le monde des médias.
La mystérieuse start-up Channel 1 vient de publier un teaser du premier journal TV entièrement animé par des avatars virtuels. Et c’est évidemment bluffant, je vous conseille de regarder la vidéo (à partir de 3'24).
Sur la forme, ça ressemble à un JT classique, quoique plus court et donc taillé pour les réseaux sociaux. Mais surtout, il est donc animé par des journalistes générés par IA. La composition des sujets et le montage le sera également probablement.
On retrouve dans ce projet toutes les lubies habituelles de la Silicon Valley quand elle s’intéresse à l’info : un produit à base d’IA, de « personnalisation », et bien sûr « d’objectivité ».
Il promet surtout d'être très rentable : audience potentiellement mondiale puisque les contenus sont traduisibles à l’infini, très peu de salariés à payer, externalisation du journalisme à des entités externes… Pratique !
Car si le fondateur de Channel 1 admet ouvertement que les animateurs humains ont vocation à disparaître, il reconnaît que le projet aura en revanche besoin de vrais journalistes de terrain pour faire le boulot. Ces journalistes ne seront juste pas employés par la start-up, mais sous-traité à des partenaires. Il évoque des partenariats avec des médias établis et des journalistes indépendants. La start-up serait en négociations avec « une grande agence de presse ».
Un rédacteur en chef serait toutefois recruté, mais probablement pas plus. Il n'y a qu'un pas pour imaginer un média en pilote automatique, qui choisirait ses sujets sur une base algorithmique. C'est de toute façon le sens du concept, qui se veut déclinable dans toutes les langues et adapté à chaque utilisateur. Et c'est déjà ce que font toutes les grandes plateformes après tout !
Alors, bluff ou réalité derrière ce teaser ? À vrai dire, peu importe. Ce n’était qu’une question de temps avant que ce genre de projet arrive. La technologie est prête, ou en passe de l’être.
Et tout cela risque de susciter beaucoup d’intérêt chez les milliardaires médiatico-critiques comme Elon Musk, qui rêvent de disrupter un secteur déjà fortement fragilisé. Si la dimension politique n'est guère abordée dans la vidéo — même si la promesse de parfaite "objectivité" nous donne un indice sur la dimension proto-populiste du concept — on peut d'ores et déjà imaginer des versions plus ou moins idéologisées, ou plus ou moins truffées de fake news...
La promesse d'un tel JT entièrement personnalisé — parfait pour hystériser les foules à base de contenus qui les fait réagir, formule qui a fait le succès des réseaux sociaux — fait également légèrement frémir. Il ne manquerait plus que tout ça tombe dans des mains malveillantes (disons la Russie ou la Chine, ce qui arrivera), et vous voyez vite où l'on se dirige.
Voici donc le monde dans lequel nous fonçons à toute vitesse. Le grand public, lessivé par le bruit permanent d'Internet, sera abreuvé de nouveaux contenus "pseudo-journalistiques" très réalistes. L'impression de crédibilité et de professionnalisme sera là, mais produit par qui et avec quelles règles éthiques ?
Si les génies de l'IA insistent sur la "transparence" supposée de leurs technologies, on s'oriente tout droit vers l'exact inverse : un monde où on ne saura plus rien distinguer du tout entre l'humain, la machine, le vrai, le faux... Et dieu sait que le grand public n'aura pas le temps (ni l'envie) d'aller fact-checker la moindre information qui passe sur ses écrans...
Médias, il va donc falloir s’interroger sérieusement sur votre valeur ajoutée et votre différenciation ! Il faudrait également muscler d'urgence les efforts de lobbying, à l'heure où la France semble pour le moins frileuse quand il s'agit de moderniser les aides aux médias ou de réguler l'intelligence artificielle.
Que ce projet fasse un flop ou pas, les fondations sur lesquelles s'est construit le journalisme ne cessent d'être déstabilisées, pour le plus grand plaisir de ses adversaires. Et ce n'est pas prêt de s'arrêter.
Pour aller plus loin : plus d'informations sur la start-up dans cet article de Deadline.