3 bonnes résolutions pour l’innovation journalistique en 2021
Une nouvelle année qui commence, c’est toujours l’occasion de remettre les pendules à l’heure et de formuler quelques voeux.
Pour les médias, l’année 2020 aura été un ascenseur émotionnel. Entre mauvaises nouvelles (crise du Covid qui bouleverse les lignes éditoriales et les organisations, chute des revenus publicitaires, crise de Presstalis) et bonnes surprises (pics d’audience et d’abonnements).
Côté « innovation », ce n’est donc pas une surprise si 2020 a été un millésime un peu spécial chez les médias numériques français. Des initiatives intéressantes ont émergé ici et là pour s’adapter au Covid, tant du côté des grands titres que de la presse locale. Des contenus pédagogiques ont fait leur apparition, tandis que les rédactions web se sont mises à intéragir plus fréquemment avec leur audience. Des tendances pré-éxistantes ont aussi continué de se développer : le podcast, la vidéo narrative, les newsletters ou encore la data-visualisation.
Et pourtant, une impression étrange subsiste. 2020 aura été une année décevante sur tous ces points. On retient peu d’innovations « marquantes », au sens où elles seraient particulièrement originales ou retentissantes. On notera d’ailleurs que — hors formats éditoriaux spéciaux — peu de sites d’info ont fait évoluer significativement leurs sites ou applications cette année. Manque de moyens suite au Covid ? Frilosité ? Ou serait-ce la fin du fonds Google DNI en 2019 qui aurait subitement asséché les moyens et les idées du secteur ?
A moins que cette relative accalmie soit une raison de se féliciter. Les médias numériques français auraient-ils atteint une certaine phase de maturité, s’astreignant à solidifier leurs acquis plutôt que de céder aux dernières tendances éphémères ? Le « grand soir » des refontes de site web devient d’ailleurs de plus en plus rare, pour laisser la place à des améliorations incrémentales en continu. C’est sans doute un signe si le lancement le plus excitant de l’année est une modeste newsletter, simple mais redoutablement efficace.
Plus largement, il semble en effet nécessaire de revenir aux fondamentaux, à une conception de « l’innovation » plus signifiante. Des innovations plus discrètes, pas forcément très sexy, mais qui s’attachent à l’essentiel : être utile aux lecteurs, proposer une expérience agréable, enrichissante, divertissante. Dans une société de plus en plus complexe, les médias ont la responsabilité d’utiliser tous les atouts du numérique pour raconter le monde de façon plus claire, plus accessible. Ils doivent aussi « aider à faire société » comme le prônait récemment Eric Scherer. Pourtant, trop souvent, l’information numérique est devenue synonyme de bruit, de confusion, de fatigue.
Les médias en ligne de demain doivent donc s’interroger sur la meilleure façon de renouer un lien durable avec leurs publics. Revenir à ces fondamentaux, c’est fidéliser son audience tout en faisant avancer la cause du journalisme dans son ensemble.
Pour aller plus loin et faire avancer la réflexion, je propose 3 lignes directrices qui pourraient guider les innovations en 2021. Je ne parlerai ni d’abonnement, ni de fidélisation, les médias ne m’ont pas attendu pour en faire une priorité.
1. Reconquérir la confiance
Une bonne partie des citoyens rejette les médias dans leur ensemble, au même titre que les institutions en général. Bien que complexe et diffuse, cette tendance devrait à mon sens devenir une priorité majeure pour le secteur, tant elle risque d’éloigner durablement des publics de l’information générald.
La tâche est titanesque mais une chose est sûre : les déclarations de bonne volonté ne suffiront pas. La profession doit remettre en question ses pratiques et adopter une démarche fondamentalement plus transparente. Les pistes sont nombreuses (j’en détaille régulièrement ici) et doivent évidemment partir de la vision éditoriale. Tout cela se raconte et se défend, en écoutant les critiques légitimes des citoyens. Bienvenue en 2021 : le journalisme est, qu’on le veuille ou non, devenu un sport de combat, alors montrons-le sous son meilleur jour.
2. Rapprocher les citoyens et challenger leurs propres biais
La polarisation de l’espace public en France n’est heureusement pas au niveau des Etats-Unis. En ligne, les lignes de fracture françaises seraient plus protéiformes, mais on retrouve bien l’émergence d’un sentiment anti-élite en toile de fond. Et tout le monde le sent bien, les réseaux sociaux et les chaînes d’information en continu ont créé en une dizaine d’années un écosystème médiatique monstrueux qui alimente le bruit et les divisions stériles (hello Twitter !)
Or si chacun reste dans sa bulle et n’est plus capable de dialoguer avec son voisin, les médias n’ont-ils pas en partie failli ? Pire, la presse institutionnelle est elle aussi en train de re-construire des murs (des murs numériques : les fameux paywalls), tandis que la dépendance à l’abonnement pourrait bien inciter les rédactions à s’enfermer dans des postures. En gros, dire à leurs fidèles lecteurs ce qu’ils ont envie entendre — une critique habituelle des médias partisans, qu’on entend de plus en plus pour parler d’un certain New York Times.
Les journalistes sont en quelque sorte des passeurs, des intermédiaires pour éclairer les citoyens dans une démocratie saine. Pour 2021, il serait intéressant d’aller plus loin et de faire sortir les lecteurs de leur zone de confort. Cela peut commencer par le fait de raconter des histoires inattendues, ou alors par questionner intelligemment les biais des internautes (exemple ici ou ici) ou en faisant vivre des débats apaisés. L’abandon des espaces de commentaires sur les sites d’info ces dernières années — sujet complexe — est un aveu d’échec assez désastreux.
Il serait aussi utile de s’interroger enfin sur les effets néfastes de la paywallisation de l’information de qualité. Mais c’est sans doute un sujet pour une année plus lointaine, les rédactions sont encore trop occupées à se féliciter (légitimement) de leurs revenus en croissance.
3. S’intéresser aux « metrics » qualitatifs
Les médias en ligne se contentent souvent de mesurer le volume quantitatif de pages vues, le temps passé, les abonnements vendus… Une vision qui traduit des objectifs très largement commerciaux. On s’intéresse malheureusement beaucoup moins à l’impact qualitatif du journalisme. Pourquoi un tel décalage avec les grands principes de la profession, historiquement guidée par un sens de l’intérêt général ? Il est assez curieux de clamer l’impérieuse nécessité du journalisme en démocratie tout en se désintéressant de comment ce journalisme est perçu et « consommé » une fois publié.
On pourrait ainsi s’intéresser à la notion assez complexe d’impact, qui recouvre à la fois l’impact sur la société mais aussi sur les individus. Les médias sont des centres de savoir et de ressources : ne serait-il pas intéressant de mesurer ce que les lecteurs comprennent et retiennent réellement des articles après lecture ? Dans une optique ludique, l’application Mémorable du Monde est une tentative très intéressante de valoriser cette dimension de culture générale.
De tels efforts permettraient sûrement de challenger l’organisation des sites d’info. Car spoiler : il y a encore du travail pour en faire de véritables ressources pratiques. Oui, je rêve d’un futur où l’on s’attacherait moins à truffer les sites d’info de bannières publicitaires et de liens sponsorisés, et plus à s’inspirer de Wikipedia et des jeux d’apprentissage…
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