29 nov. 2020

Être plus transparent sur l’éthique journalistique

Être plus transparent sur l’éthique journalistique

Une grande majorité de journalistes font un travail rigoureux. Comment le mettre en valeur sur les sites d'info ?



Pourquoi c’est important

On le ressasse sans cesse : les Français sont toujours plus défiants à l’égard des médias. Le problème est complexe, structurel, et lié à de nombreux facteurs politiques, économiques, culturels. Si les principales critiques portent sur la déconnexion et la supposée partialité des journalistes, les citoyens mélangent souvent tout et n’importe quoi dans leur critique des médias. Il faut dire que les mots n’aident pas : le terme « médias » est un fourre-tout pratique qui masque une grande pluralité d’activités, jusqu’à parfois désigner les contenus en tout genre que l’on peut trouver sur les « médias sociaux ».

La production journalistique se retrouve désormais noyée dans cet océan de contenus numériques. Pire, le journalisme « de qualité » — ce journalisme professionnel, qui tend à la recherche de la vérité à travers un travail de terrain, de vérification, de recoupement — semble de plus en plus difficile à distinguer des médias peu scrupuleux. L’info de qualité est atomisée, décontextualisée, consommée à la volée dans des interfaces déterminées par des algorithmes. Le Web nivelle les différences, là où le support papier permet plus facilement de différencier ce qu’on lit.

Ce mouvement de nivellement est d’autant plus pervers que la crise économique des médias a poussé un certain nombre de publications à rogner sur la qualité, sur ce fameux travail rigoureux qui les distinguait traditionnellement des contenus amateurs et de la presse de caniveau.

Pour répondre à cette perte de repères, les solutions sont nécessairement plurielles. L’éducation aux médias dès le plus jeune âge est une première étape indispensable. Mais il n’est pas interdit de penser que les médias ont leur part de responsabilité dans les causes… et dans les futures solutions.

La pratique journalistique a toujours drainé son lot de fantasmes et d’idées reçues. Il est peut-être temps de casser cette  boîte noire et d’expliquer comment le travail journalistique est fait (quand il est bien fait). Adopter une approche plus transparente contribue à donner l’image d’un média ouvert, qui n’a rien à cacher. Les lecteurs les plus fidèles ou critiques sont souvent curieux et friands d’en savoir plus sur les coulisses. En revanche, cette transparence est à double-tranchant : attention au retour de bâton, si les politiques annoncées sont peu appliquées…

Cet effort de transparence peut aussi constituer une discussion bienvenue dans les rédactions — une occasion de clarifier certaines pratiques qui ont pu se développer avec l’essor du Web. Certains médias français pourraient ainsi s’inspirer d’une certaine conception du journalisme « à l’anglo-saxonne », certes pas infaillible, mais qui a le mérite de défendre des principes éthiques de façon plus assumée et ritualisée.

Les pistes

Clarifier et afficher ses règles déontologiques

Premier point de départ : la plupart des médias sérieux disposent de chartes ou de règles éthiques internes,  plus ou moins formalisées et appliquées. Elles peuvent couvrir de nombreux aspects : indépendance éditoriale, traitement des sources, rapports avec la publicité…

Ces règles sont pourtant bien floues aux yeux du grand public, alors qu’elles témoignent de la rigueur et de l’éthique qu’appliquent une majorité de journalistes au quotidien. Les publier en ligne semble être le minimum syndical, comme le font beaucoup de rédactions anglo-saxonnes (New York Times, The Guardian, BuzzFeed News, Washington Post…). En France, on notera les chartes du Monde ou de médias indépendants comme Mediapart, Contexte ou Les Jours. Le Monde publie également une synthèse annuelle de son comité interne de déontologie, qui se réunit régulièrement.

Les rendre visibles et engageantes

La faille fréquente de ces pages est qu’elles sont difficiles à trouver (souvent au fond d’un footer ou des mentions légales) et présentées sous une forme absconse. On pourrait comparer leur austérité à celle des « conditions générales de vente », que personne ne lit vraiment.

Sur ce point, certains médias font un effort pour rendre visible leurs efforts de transparence auprès des lecteurs. The Globe & Mail affiche un raccourci vers son « code de conduite éditorial » à la fin de chaque article (ainsi qu’un lien pour signaler une erreur). Quoi de mieux pour donner une bonne impression au lecteur à la fin de sa lecture ?

D’autres sites se distinguent en soignant le design et la structure de leurs pages sur l’éthique. On note ainsi l’espace « News Values and Principles » d’Associated Press, qui a le mérite d’introduire les sujets avec des visuels (non, ce n’est pas anodin), et de rediriger le lecteur progressivement par thématique. Les étudiants de l’école de journalisme USC Annenberg montrent aussi l’exemple avec une page efficace, constituée de sections courtes et d’un moteur de recherche pour accéder plus facilement à un sujet précis.

La BBC a aussi travaillé la présentation de ses « News Guidelines », avec des images et une page d’accueil qui souligne les dernières mises à jour (comme les nouvelles règles en matière de réseaux sociaux, qui ont beaucoup fait parler récemment). On peut toutefois regretter que la page « Pourquoi vous pouvez nous faire confiance », visible dans le footer de BBC News, soit à l’inverse très longue et austère…

Ces préoccupations sont aussi valables pour les règles de modération des commentaires, qui sont souvent mal comprises par les lecteurs. Le Monde affiche par exemple un message chaleureux et très visible, dès que l’on souhaite poster une contribution. La charte de modération est rédigée de façon accessible, avec un article « question-réponse » plutôt qu’une page de service client.

Réfléchir à des « labels »

Pour renforcer la confiance autour de ces sujets complexes, certains médias se sont regroupés autour de structures communes. C’est le cas du « Trust Project », une structure internationale qui a défini 8 grands principes déontologiques appliqués aux médias et distribue un « label » aux médias signataires. Des dizaines de médias en profitent et certains l’affichent fièrement en bas de tous leurs articles (The Economist, The Toronto Star, El Pais…). Dommage, aucun média français n’en fait partie.

D’autres mettent en avant la notation de l’entreprise NewsGuard, qui entend labelliser l’info de qualité. The Economist le mentionne par exemple sur son paywall. Un levier de réassurance qui peut faire son petit effet auprès des lecteurs. On pourra toutefois s’interroger sur les limites de ces labels, surtout quand il s’agit de classer les médias entre eux, ou de distribuer des mauvais points (Le Monde et son outil « Decodex » ont pu en faire l’expérience).

Publier des déclarations d’intérêt

Une autre gage de transparence, plus contraignant, serait que les journalistes publient des déclarations d’intérêt. Surtout quand ils travaillent autour des pouvoirs politiques et économiques, propices à tous les fantasmes. Une pratique certes désagréable — j’entends déjà crier à la tyrannie de la transparence — mais courageuse et symbolique, pour une profession qui a désespérément besoin de donner des gages de bonne volonté. Face à l’accusation généralisée de collusion avec les puissants, il faut bien sortir les gros moyens.

Contexte et Mediapart le font déjà en France. Dans le secteur de l’information tech — souvent critiqué pour sa complaisance avec l’industrie — le média américain Recode le pratique également. Une précédente version du site affichait carrément sur chaque article un raccourci vers la déclaration d’intérêt de l’auteur. (Dommage, elle n’est plus en ligne.)

Expliquer la méthode

Ces efforts d’exemplarité ne sont toutefois qu’une petite partie du travail pour renouer la confiance. Pour être efficace, la transparence doit aussi irriguer la pratique journalistique. Se démontrer au quotidien, article après article. Cela passe par des bonnes pratiques que connaissent bien les journalistes (rappeler le temps passé et le nombre de sources mobilisées dans une enquête, limiter au maximum les sources anonymes…)

Une piste intéressante pourrait consister à ritualiser davantage ces gages de transparence dans les articles. A l’initiative de la plateforme Civil, le média local The Colorado Sun avait par exemple expérimenté l’affichage d’« indicateurs de crédibilité » à côté de certains articles. Une façon de mettre en valeur certaines caractéristiques du journalisme de qualité. L’article révèle-t-il des informations nouvelles ? Le journaliste est-il allé sur le terrain ? Cite-t-il ses sources ? Sans forcément aller aussi loin sur la forme, le simple fait d’en dire un peu plus sur le processus de collecte d’information ne peut être que bénéfique…


Pour aller plus loin :

A suivre : le plan d’action « Trust » chez Le Monde, qui entend renforcer la transparence et le lien avec les lecteurs

Maxime Loisel
Maxime Loisel
Fondateur de HyperNews. Consultant indépendant en stratégie et design pour les médias en ligne. Ce blog n’engage que moi.
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